Entretien entre CLÉMENT BASSIER et MICHEL LOIRETTE
À propos de la parution de son nouveau roman
CB : Dans le prologue de LA BOîTE BRISÉE,
vous écriviez en 1998 : " J’ai presque honte
à dire que je suis né, un 19 avril 1943, au 63 de
l’Avenue de la Motte Piquet, dans l’anonymat d’une
clinique où la médecine moderne a choisi, dans un
souci d’hygiène et de prophylaxie, de faire naître
les bébés. Mes ancêtres qui ne savaient pas
encore que les microbes existaient eurent le privilège
de voir le jour, entourés de leur famille, dans des lieux
qui les virent grandir.
Mon père était né à Saint-Affrique
dans l’Aveyron et ma mère à Cusset dans l’Allier,
à quelques kilomètres de Vichy. De mes origines
rouergates et bourbonnaises, je ne conserve que peu de souvenirs.
"
En lisant ces lignes j’ai le sentiment
que la littérature a d’abord été pour
vous un moyen de renouer avec votre passé. À l’exception
de Cool, le lycée coule ! qui est un roman satirique (et
d’actualité) sur l’éducation nationale,
tous vos livres font référence à un monde
disparu ou en passe de l’être. La nostalgie à
l’égard du passé est-elle un sentiment que
vous éprouvez ?
ML : Probablement, et c’est presque un
lieu commun, car de nombreux auteurs l’ont éprouvé
avant moi. Tout écrivain est, qu’il le veuille ou
non, l’historien de sa propre vie. Surtout si cette vie
comporte des zones d’ombre, des moments détestés
mais aussi de bonheur intenses. L’écriture est une
thérapie comme pourrait l’être la psychanalyse.
Plonger en soi-même grâce à l’écriture
est une aventure fascinante. Ce qui ne signifie nullement que
j’ai voulu en écrivant mes livres me donner en pâture
à des lecteurs friands en révélations croustillantes.
La création romanesque, l’invention de personnages
et d’histoires imposent un travail de transposition indispen-sable,
une transcription salutaire qui permet d’éviter l’écueil
que serait, selon moi, le déballage de mes
propres sentiments, de ma propre existence.
CB : Mais n’est-ce
pas aujourd’hui la tendance des écrivains de
s’exposer à la première personne, de raconter
leur vie, leurs actes les plus intimes. Pourquoi
préférer la transposition romanesque ?
ML : Parce que je crois que le roman est avant
tout œuvre d’imagination. C’est une chance exceptionnelle
que possède l’écrivain de donner vie à
des personnages, de créer des univers de fiction, de raconter
des histoires sans que l’on puisse l’accuser de mentir
! C’est réduire la littérature à peu
de chose que de faire de sa personne le sujet d’un livre.
CB : Est-ce
aussi pour cette raison que vous avez choisi de vous exprimer à
travers la littérature fantastique, un genre qui prend à
contre-pied le réel. ?
ML : Le fantastique est pour moi un moyen de m’extraire
de la conception scolastique de la vérité. Vous savez
la fameuse " adaequatio rei et intellectus " des philosophes.
En utilisant le fantastique, je sors de cette contrainte et je peux
accéder plus facilement à un monde qui n’est
pas la traduction réaliste de la vie. Mais ce n’est
qu’un moyen. En outre, je ne me considère pas comme
un écrivain
de littérature fantastique. Je joue sur l’ambiguïté
des situations. Mes héros quels que soient leurs statuts
sociaux mènent des vies très banales, très
conventionnelles, à cent lieues du
fantastique jusqu’au jour leur existence est brutalement bouleversée
par
l’irruption d’événements irrationnels
et incontrôlables… la plupart du temps ce sont les sentiments
amoureux qui les font décoller de leur médiocrité.
Je crois que la passion amoureuse a le pouvoir de transcender les
êtres les plus ordinaires.
CB : Une autre
caractéristique de vos récits, c’est qu’ils
se terminent toujours mal. Pourquoi avoir choisi des fins aussi
cruelles, aussi violemment expéditives pour vos héros
et héroïnes ?
ML : Parce que la destinée de l’homme est cruelle,
parce que chaque minute de notre vie est un pas de plus vers notre
mort. Ce n’est pas moi, mais Pascal qui disait : " le
dernier acte de la vie est sanglant, quelque belle que soit la comédie
". Peut-être est-ce une question d’âge. J’ai
soixante-deux ans et j’ai le sentiment d’être
engagé sur le second versant.
CB : A ce propos,
et pardonnez-moi de vous poser une question qui vous paraîtra
peut-être maladroite, mais n’estimez-vous pas étonnant
de commencer une carrière d’écrivain à
un âge où on la termine souvent ? Les éditeurs
ne préfèrent-ils pas donner leur chance à de
jeunes talents ?
ML : C’est aux éditeurs qu’il
faut poser la question, pas aux auteurs. Qu’importe l’âge
si l’on a quelque chose à raconter, si les lecteurs
éprouvent du plaisir à vous lire. Pour des raisons
professionnelles -mon ancien métier ne me laissait que peu
de loisirs- je n’ai pas écrit pendant de nombreuses
années, mais les histoires que je raconte aujourd’hui
sommeillaient en moi. Je les mets sur le papier aujour-d’hui,
mais j’aurais pu les écrire, il y a trente, quarante
ans.
Les auteurs qui écrivent depuis longtemps ont tendance à
se répéter ou ne trouvent plus l’inspiration.
Lisez le dernier prix Goncourt, le livre de François Weyergans
sur les affres de l’écrivain qui n’arrive plus
à pondre un bouquin !
J’ai encore l’inspiration et la naïveté
de l’enfance ! J’ai besoin d’inventer des personnages,
de créer des univers, je le répète, comme un
enfant.
CB : Trouvez-vous
les éditeurs trop frileux ?
ML : Il faut aussi les comprendre.
L’édition d’un livre coûte cher et ne leur
rapporte pas autant d’argent qu’ils pourraient l’espérer.
Quand on sait qu’un roman ne se vend généra-lement
pas à plus de 500 exemplaires, souvent beaucoup moins, on
peut comprendre leurs réticences à tout miser sur
des écrivains inconnus, de surcroît âgés.
Les éditeurs préfèrent les valeurs sûres
de ce que j’appelle " l’infra-littérature
". On livre aux rayons des libraires, ce que l’on réservait
jadis à la presse spécialisée : les confessions
des stars du show business, les biographies des hommes politiques
etc. parce que ça se vend mieux que les romans.
CB : Une ultime
question. Avez-vous en chantier un autre livre ?
ML : Ça fourmille dans mes doigts, dans
ma tête… mais c’est encore un peu tôt. J’attends
la sortie en librairie de mon nouveau livre. Le succès d’un
roman donne envie d’en écrire un autre… l’échec
aussi… car on a aussi envie de prendre sa revanche !
En ce moment, je pense publier un livre illustré pour les
enfants de 7 à 12 ans… Le dessinateur qui est pressenti
est encore plus âgé que moi !
Vous voyez, les papys-book se portent plutôt bien !
©
COSE-CALCRE  |